8 mai 2017

Maurice Marchesi, Horticulteur à vue

par Virginie Heitz
Auteure de Vagabondage Bio

 

 

 

Larges épaules, regard bleu, sérieux s’éclipsant tout net derrière un sourire franc, ancrage manifeste; Maurice Marchesi passerait volontiers pour un navigateur. Cet horticulteur d’origine annecienne explore en fait terres et plantes. Son océan végétal se peuple de plus de cent mille espèces et variétés, qu’il s’ingénie à débusquer et à tester. Sa curiosité vivace, née de la passion complice du désir de partage, alimente son « vent dans les voiles ».

 
Un long voyage naît le plus souvent d’une révolution en soi. Maurice Marchesi a enclenché la sienne par un sens de l’observation adossé à la force de l’imagination. Enfant, il guette éléphants et lions derrières les arbres qui abritent les champignons – l’Afrique de la série Daktari à portée de vue, à portée de main. Le jardin familial de Menthon-Saint-Bernard, riche en faune et flore, développe son goût pour la nature et son esprit d’aventure. Après un circuit classique d’études horticoles, dont un passage au lycée du même nom à Romans sur Isère, le jeune homme devient paysagiste. Armé de sa tronçonneuse, son taille-haie, ses tondeuses et débroussailleuses, puis de ses trois bidons siglés d’une tête de mort – contenant herbicide, fongicide, insecticide – il oeuvre et se met à son compte; sans réelle remise en question. Toutefois, il note que certains jardins abandonnés portent des pommiers capables de donner d’honnêtes fruits, de beaux rosiers, d’avenantes fleurs, d’harmonieuses haies. Ceci l’amènera à penser que certaines espèces de plantes se débrouillent bien, seules : point de départ de sa quête de « plantes autonomes ». Déjà démarqué de ses camarades comme l’un des très rares élèves à échanger spontanément boutures et graines, il marque le trait, filant dès que possible en direction des trocs et fêtes de plantes, pour dénicher les plus résistantes. Alors s’ouvre un vaste monde de connaissances : « J’ai compris que le paysagiste amène perturbations sonores et chimiques dans un environnement calme, pris conscience que trois cent plantes seulement étaient étudiées à l’école alors que des milliers sont cultivées en France. J’ai fréquenté de plus en plus de jardins botaniques, étudié diverses monographies spécifiques (graminées, érables, roses etc.) ; et pris conscience de l’insoupçonnée diversité à l’intérieur même de chaque espèce. »

 

 

Au milieu des années 90, il commence la sélection de plantes capables de se passer d’entretien, prémices des futurs « Jardin de plantes autonomes » et « potager du fainéant ». A l’époque, Maurice Marchesi compte une cinquantaine de clients, plus quelques amis dotés de jardins : autant de terres d’accueil pour de multiples essais. Au début des années 2000, l’explorateur a installé plus de deux mille espèces dans son arche disséminée et souhaite créer un grand espace dédié à un jardin pédagogique. Il convaincra l’un de ses clients, le centre européen de la prestigieuse Tufts University de Boston, de lui confier les 1,5 ha de terres de son Prieuré quasi millénaire, à Talloires. L’horticulteur finance entièrement l’achat des végétaux et leur plantation. En plus de dix ans, trois mille viendront enrichir ce jardin d’essai, agrémenté de visites et de stages, bientôt victime de son succès : « Dans un climat de menaces terroristes, la sécurité des personnes fréquentant ce centre culturel devenait une préoccupation sensible. Les venues inopinées de visiteurs curieux ont fini par imposer quelques précautions ». Maurice Marchesi se rapproche donc de l’association Oxalis à Héry-sur-Alby, qui possède 1500 m² de friches. « Et voilà que Michel Vignoud arrive » s’amuse l’intéressé. Les deux hommes sont en contact depuis une dizaine d’années par le biais de l’association La Terre en Héritage, co-organisatrice du Festival de l’Economie initié par Michel Vignoud. Un festival annécien inscrit dans une démarche de remise en question philosophique et pragmatique des règles dictées par les « business modèles ».

 

 
Pour Maurice Marchesi, les connaissances sur la diversité des plantes et leur capacité d’autonomie ont levé le voile sur une approche mercantile de la nature : « Quand j’ai prouvé à mes collègues que certaines plantes se passaient d’intervention, certains m’ont dit que je me tirais une balle dans le pied… D’autres ont jugé mes arguments bien complexes pour une clientèle non initiée ou sceptique… Les choses changent heureusement, on parle d’écologie depuis des années, mais notre métier enchaîne une série d’aberrations. On applique certes moins d’insecticides de synthèse. Mais, si peu d’entre nous distinguent les insectes utiles des nuisibles, moins encore réalisent qu’un équilibre consiste à avoir les deux et, de fait, à favoriser des écosystèmes pour les deux.

 

 

 

Toutefois cette démarche appelle un préliminaire fondamental : choisir des plantes naturellement résistantes aux insectes ! Des choix éclairés nous absoudraient de « problèmes » auxquels l’industrie répond aujourd’hui par des solutions phytosanitaires ou mécaniques. Et malgré les incessantes innovations des pépinières, les erreurs se répètent, car la publicité fait fi de la diversité des biotopes: telle plante peut être attaquée par un parasite présent dans un département et pas dans un autre, un fruit peut mûrir à Lyon mais pas à Annecy. Ne mettre en avant que ce qui est vendeur sous-tend des inventions toujours plus perfectionnées, toujours plus chères.

 

 
Pour l’heure et depuis le mois d’avril 2016, les 1100 m2 entourant le siège social de l’entreprise Bureau Alpes Contrôles, situé aux Glaisins, à Annecy-le-Vieux, bénéficient des soins de Maurice Marchesi. Un défi technique, car la terre, glaiseuse à 90%, cette année gorgée d’abondantes pluies jusqu’au mois de juillet, était recouverte de graminées vigoureuses, de plantes à prairies profondément enracinées et, surpeuplée de limaces. Evidemment, il fallut réussir dans une démarche respectueuse de l’environnement, sans matière plastique : « Je me dis souvent que je devrais potasser les manuels d’horticulture et de maraîchage des années 1800 », plaisante à demi-mots le « jardinier-paysagiste-collectionneur».

 

 
Trente-deux tonnes de sable de Seyssel, vingt-quatre de litière de cheval, l’aide d’un motoculteur pour décompacter en surface, un saccage inattendu pour cause de pose de canalisation au mois de juin et plusieurs centaines de plantations ont passé. En cette mi-septembre 2016, le potager est majestueux, rythmé, luxuriant, enchanteur, accueillant… Relaxant. Une corne d’abondance où les légumes ressemblent à des friandises, les tomates bleues à des rubis, où les haricots grimpants carmin ont l’audace du sans fil, où les amarantes abondantes et voluptueuses jouent les belles pampilles. Assez peu de plantes issues de notre flore mais beaucoup de variétés d’espèces résistantes, empruntées à l’Amérique du Sud ou à l’Asie, « qui reviendront l’an prochain si elles se plaisent bien ». Ainsi les Poires de Terre Yacon et Glycines tubéreuses, toutes deux insensibles aux maladies, Figuier ‘Sucrette’, Plante Huitre, Haricots Bananes, Occa du Pérou… Plus d’une centaine d’espèces, variétés et cultivars pour un jardin qui mérite amplement le qualificatif de « diversifié». Une mare, des segments de bambous pour abeilles naines et un abri à insectes attirent ces indispensables petites bêtes, utiles et pollinisatrices. Beaucoup de plantes mellifères et de fleurs vivaces embellissent encore l’espace et fidélisent ces populations.

 

 
La valorisation du terrain du siège de Bureau Alpes Contrôles, grâce à ce potager diversifié, pourrait s’avérer une réponse pragmatique et innovante à une problématique plus large : la pénurie de terres cultivables pour les maraîchers en zones de forte pression immobilière. Car nombreuses sont les entreprises, à l’image du siège de Bureau Alpes Contrôles, situées dans ces zones. La collaboration entre Maurice Marchesi, et un entrepreneur tout aussi atypique, ouvre donc aujourd’hui un champ des possibles réjouissant.