Bernard Thévenon – L’homme à l’ortie
Homme-orchestre, transportant ses batteries de cuisine et sa rondeur d’un événement à l’autre, de la biennale internationale design Saint-Étienne 2010 au salon Primevère à Lyon, en passant par le salon des vins bio de Condrieu, Bernard Thévenon pourrait avoir pour devise : « Ça me plaît donc je viens. » Sa cuisine se nourrit d’amour ; celui qu’il porte aux producteurs, aux copains, à sa liberté et aux rencontres. L’humain avant tout, avant même le produit, bio ou pas : « Je choisis mes produits en fonction de ce qu’il y a localement. Ensuite, il y a l’aspect humain. 100 % bio qui exploite les humains, ça ne m’intéresse pas. » Il y a aussi les plantes sauvages, sa passion nourrie au contact de l’ethnobotaniste François Couplan : « Mes parents me montraient celles qui n’étaient pas bonnes, pas les autres. Maintenant, je peux me nourrir dans les bois sans problème. » Sa première conquête est l’ortie avec laquelle il confectionne de succulentes tartes. Il en a récolté des centaines de kilos. Pierre-Yves Micoud, un de ses complices culinaires, peut en témoigner : « On a fait des buffets pour cinq cents, six cents personnes. Ça en fait des bacs et des bacs d’ortie. Bernard, c’est un ovni. En short au milieu des orties, il tombe, il se marre. »
B. Thévenon, un CAP de charcutier en poche et trente-six cordes à son arc dont celle de traiteur, n’a jamais eu envie de fonder un restaurant. Tout au plus un atelier, Bioriginal, et un étal sur le marché de la Croix Rousse à Lyon où, durant trois ans, il a régalé son monde de tartes aux légumes : « J’avais une super clientèle. Économiquement, je m’en sortais. » Les demandes ont alors afflué et, avec elles, les paris les plus audacieux comme de fournir quinze jours durant, quelque quatre cent cinquante repas quotidiens composés d’ingrédients exclusivement bio et produits dans un rayon de quatre-vingts kilomètres maximum autour de Saint-Étienne. « Tous les matins, il partait faire le tour des fermes, allait chercher ses fruits, ses légumes chez les maraîchers. Il a un réseau phénoménal », admire Jean-Yves. Sa connaissance du terrain et des producteurs lui permet de travailler en toute autonomie. Si Lyon l’appelle, il se tourne vers le Pilat pour trouver ses fournisseurs en s’appuyant sur les guides des bonnes adresses bio édités par l’Ardab 1. Il travaille aussi avec le réseau des Jardins de Cocagne, en l’occurrence Les jardins de Lucie, situés à Communay, dans le Rhône : « C’est génial, multiracial, j’adore. En une petite journée, on échange, on travaille avec des êtres humains qui repartent rechargés. »
Le Chazellois est un inconditionnel de Primevère, le salon qui réunit depuis trente ans, à Lyon, militants et associations écologistes, alternatifs et producteurs bio. Il en est une des chevilles ouvrières, assurant avec son équipe les repas des deux cent cinquante bénévoles de l’organisation : « C’est le message qui m’intéresse. C’est identitaire. Le maître mot, c’est intégrité. C’est un salon qui est resté vrai, qui n’a pas voulu évoluer vers le commercial. » Autour de lui, en cuisine, se retrouvent des gens issus d’horizons très différents, dix à vingt personnes « qui bossent et qui rigolent. Quelque chose de rare, d’assez incroyable », apprécie P.-Y. Micoud. La diversité est également dans les assiettes. Chacun ici, les « viandards » comme Bernard mais aussi les végétariens et végétaliens, peut trouver les mets qui lui correspondent.
« Mon moyen d’expression, c’est la cuisine. Quand on m’appelle, c’est pour ma sensibilité et quelque chose qui sort de l’ordinaire », témoigne le chef qui, dans ses préparations, sait utiliser à la perfection les plantes sauvages, à l’image de la benoîte urbaine dont la senteur de girofle vient rehausser la saveur d’une salade de betteraves rouges. Derrière le « personnage », facétieux et bon vivant, se cache un homme rigoureux. Tous ses ingrédients sont tracés, identifiés. Pour trouver les algues qui entrent dans ses compositions, il se rend en Bretagne et pour le piment d’Espelette, au Pays basque. Il a conçu sa première fiche de traçabilité avant même que le mot n’existe, à l’occasion d’une fête de la batteuse. Au menu, un civet de lapin, lapin qu’il était allé lui-même chercher à la ferme.
Un jour, il y a bien longtemps de cela, Bernard Thévenon est tombé, à bout de souffle. Il a alors rencontré Pierre Rabhi, un des pionniers de l’agroécologie en France, et des paysans dans sa mouvance, dont il valorise maintenant les produits. « Ça m’a sauvé la vie. Ce sont des gens qui pensent simple, qui font simple. Ça me correspondait. » Au-delà de la bio, les rapports à la terre, à l’homme, à la vie qu’elle induit lui ont donné le ressort pour refaire surface, revivre : « C’est là que j’ai commencé à devenir militant et, sans doute, plus intelligent ». Depuis, il a retrouvé l’envie de se battre, apportant à travers la cuisine qu’il met en musique sa contribution à un monde nouveau.
Bernard Thévenon
Atelier bioriginal
17 rue Saint-Galmier
42140 Chazelles-sur-Lyon
Tél. 04 77 94 24 15
Retrouvez le portrait de Bernard Thévenon dans Vagabondage Bio, Entre Rhône et Loire.
1. Association des producteurs biologiques du Rhône et de la Loire.